Belles Lettres
Publié le 19 Mars 2007
Proposées par Christelle.
Madame de Sévigné est profondément chrétienne; elle pratique l'examen de conscience et les lectures pieuses.
Dans cette lettre à sa fille, abordant le grand sujet des fins dernières de l' homme, sans nuire à sa gravité, elle lui imprime ce tour vif et primesautier qui lui est propre. Et comme elle est humaine dans son humilité sans raideur !
Vous me demandez, ma chère enfant, si j'aime toujours bien la vie. Je vous avoue que j'y trouve des chagrins cuisants; mais je suis encore plus dégoutée de la mort: je me trouve si malheureuse d'avoir à finir tout ceci par elle que, si je pouvais retourner en arrière, je ne demanderais pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m'embarrasse : je suis embarquée dans la vie sans mon consentement; il faut que j'en sorte, cela m'assomme; et comment m'en sortirai-je? Par où? Par quelle porte? Quand sera-ce? En quelle disposition? Souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée? Aurai-je un transport au cerveau? Mourrai-je d'un accident? Comment serai-je avec Dieu? Qu'aurai-je à lui présenter? N'aurai-je aucun autre sentiment que celui de la peur? Que puis-je espérer? Suis-je digne du paradis? Suis-je digne de l'enfer? Quelle alternative ! Quel embarras ! Rien n'est si fou que de mettre son salut dans l'incertitude; mais rien n'est si naturel et la sotte vie que je mène est la chose du monde la plus aisée à comprendre.
Je m'abime dans ces pensées et je trouve la mort si terrible que je hais plus la vie parce qu'elle m' y mène, que par les épines qui s' y rencontrent.
Vous me direz que je veux vivre éternellement. Point du tout ; mais si on m' avait demandé mon avis, j'aurais bien aimé à mourir entre les bras de ma nourrice ; cela m'aurait ôté bien des ennuis et m'aurait donné le Ciel bien sûrement et bien aisément..
A Paris, mercredi 16 mars 1672